Le chirurgien-urologue français, auteur et chef d'entreprise Laurent Alexandre, qui multiplie les conférences pour parler de l’intelligence artificielle et de ses effets sur notre société, était l'invité de l'émission "C’est arrivé demain" de David Abiker, sur Europe 1. Celui qui peut être décrit comme un "futurologue" évoque sans détour les dangers de l'intelligence artificielle pour notre société, et les actions à mener, dès aujourd'hui, pour s'en prémunir. Un discours aussi intéressant que dur et parfois alarmant, mais qui nous éclaire sur la réalité de l'IA. Explications.
L'IA introduit un immense challenge social et économique
Qu'est-ce que l'intelligence artificielle ? A une question qui peut paraître aussi complexe et difficile à résumer, Laurent Alexandre répond en quelques mots, de manière claire : "L’intelligence artificielle c’est quand les ordinateurs effectuent des tâches qui étaient, jusqu'ici, réservées au cerveau humain. Il existe plusieurs techniques d’intelligence artificielle, et il existe aussi une multitude d’activités humaines qui, aujourd’hui, sont dépassées par l’intelligence artificielle. Il s’agit d’un immense challenge social et économique de se projeter dans le futur pour réguler ce changement, cette bascule qui rend des machines capables de réaliser des tâches humaines".Un immense challenge social et économique ? Oui, selon le spécialiste, l'IA va changer la chaîne de valeur dans de nombreuses activités, mais également renverser l'équilibre de l'emploi dans des secteurs entiers. Laurent Alexandre utilise deux exemples pour illustrer son propos. "L’orthodontie (spécialité qui consiste à corriger la position des dents) est en train de migrer en Californie, à deux pas de Google, Apple et Facebook. Grâce à une modélisation en trois dimensions des maxillaires, une IA compare votre empreinte avec les empreintes des autres patients et avec leurs traitements, pour définir l’ordre d’intervention sur les dents. Ensuite, via des imprimantes 3D, il est possible de fabriquer des gouttières en plastique, envoyées par des transporteurs, directement à votre dentiste. Le dentiste va devenir en quelque sorte ce qu’est l’infirmière en santé, un passeur d’information. Le dentiste a quasiment disparu dans la chaîne de valeur pour l'orthodontie".Toujours dans cette logique d'expliquer que l'IA va "écraser" des secteurs entiers, et rebattre les cartes, Laurent Alexandre utilise un second exemple : "Dans le transport routier, l’IA va faire des ravages. Exemple, aux Etats-Unis, il y a aujourd’hui 3 millions de livreurs et de chauffeurs routiers. Les camions autonomes vont prendre leur place. La reconversion des chauffeurs va être un immense problème, sur environ une vingtaine d’années… il va falloir reclasser des personnes, parfois sans diplômes, qui ne pourront pas faire une activité similaire... car elle n'existera plus !"
Une société moderne malade de son intelligence artificielle ?
De l'aveu même de Laurent Alexandre, ce qu'il faut attendre de l'avenir de notre société n'a rien du tableau idyllique. "Nous avons créé une société avec beaucoup de données. Nous avons créé tellement de données que le cerveau humain ne peut pas les traiter. Nous avons créé une société de la connaissance, sans réfléchir aux conséquences politiques et sociales. Les personnes qui ont la capacité de traiter les données, qui ont un fort QI, ont un avantage énorme sur les personnes qui n’ont pas cette agilité. Nous sommes donc en train de créer une société déséquilibrée".Sommes-nous condamnés à une société à deux vitesses, avec les personnes capables de "rivaliser" avec l'IA, et celles, avec des connaissances et des capacités cérébrales moins poussées, qui doivent rester en retrait ? Non. "L’IA va peut-être permettre d’améliorer l’intelligence humaine". La preuve, Elon Musk, directeur de Tesla Motors et de SpaceX, a créé une nouvelle société baptisée Neuralink, dont la mission est de développer les capacités cérébrales humaines, avec des éléments implantées dans le cerveau. "Si nous n’augmentons pas les capacités de notre cerveau, nous allons devenir les animaux domestiques de l’intelligence artificielle. Augmenter son cerveau est capital" décrypte Laurent Alexandre. "La démocratie ne peut pas survivre à des écarts de QI. Si nous avons de trop gros écarts de QI, la société explose, la politique explose. Je crois ainsi qu'un des rôles futurs de la Sécurité sociale sera de rembourser les écarts de QI, via ces implants dans le cerveau".Au-delà de l'aspect santé et des conséquences sociétales, Laurent Alexandre évoque les pistes à la disposition du politique pour éviter ce match, déséquilibré, entre l'humain et l'IA. "L’homme doit aller là où l’IA ne sait pas aller. Dans des disciplines transverses. C’est là où l’Education Nationale doit envoyer les enfants, et non pas dans des métiers en concurrence frontale avec l’IA, là ou elle est meilleure que nous". L'intelligence artificielle nous apporte de nombreux défis à relever. Laurent Alexandre en pointe ici plusieurs, et nous donne à réfléchir sur notre futur... Glaçant.Emission à retrouver en podcast sur le site de la radio Europe 1 à partir de la minute 18': C’est arrivé demain David Abiker – 04/06/17